top of page

Le Copy Art, vu sous le prisme de la collection de Jean-Claude Baudot

par Marie Maertens le 25/06/2016

Qu'est ce que le Copy Art ?
 
Historique
​

Le Copy Art, qui peut être appelé Xerox Art, Electrostatic Art, Xerography, Copigraphie ou Art Electrographique, a débuté de manière globale dans les années 1960, suite à l’invention du premier copieur xérographique, entièrement automatisé en 1959. Très vite, les plasticiens s’emparent de ce nouveau médium pour créer des reproductions non seulement sur du papier, mais aussi des bois, platines ou tissus. Les œuvres peuvent se développer en volume, sous forme de collage ou rentrer dans la catégorie de ce que l’on a nommé le mail art ou le book art.

Dans les années 1970, Pati Hill (présente dans la collection de Jean-Claude Baudot) est l’une des premières à expérimenter un copieur IBM, avec des travaux qui seront présentés au Centre Pompidou, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris ou au Stedelijk Museum d’Amsterdam. En 1976, la galerie La Mamelle, de San Francisco soutiendra une scène importante du Copy Art, qui va ensuite s’inscrire au Japon, au Canada, en Italie… Après Charles Arnold et Wallace Berman, les premiers à avoir conçu du Copy Art, de nombreuses artistes femmes comme Carol Heifetz Neiman, Helen Chadwick ou encore Sonia Sheridan (également dans la collection de Jean-Claude Baudot), s’accompagnent de noms tels que Tim Head, Evergon ou David Hockney.

Le Dictionnaire des arts médiatiques fait pour sa part débuter ce mouvement un peu auparavant : « On distingue habituellement trois générations de copy art : 1950-1968, première génération (travail en noir et blanc) ; 1968-1980, deuxième génération (travail en couleurs et machines analogiques) ; 1980 et au-delà, troisième génération (travail en couleurs et machines numériques). »

 

Point de vue critique
​

Mais c’est bien dans les années 1980 que le Copy Art bénéficie d’articles critiques et de reviews, notamment pour accompagner les expositions. Ainsi en France, le magazine Télérama, du 18 décembre 1981, accompagne la manifestation ARS-MACHINA de la Maison de la Culture, à Rennes. L’auteur Dominique Pinelli cite Jean-Paul Albinet (dont Jean-Claude Baudot possède des exemplaires de cette époque), qui avait photocopié de la tête aux pieds une trentaine de visiteurs, le soir du vernissage. Parmi la douzaine d’artistes présents, se trouvaient Patti Hill, Paul-Armand Gette, mais aussi Wilfrid Rouff (lui aussi présent dans la collection), qui alignait  des piles de photocopies avant de les intégrer à des objets. Tandis que les visiteurs étaient invités à s’exprimer à leur tour sur ces machines.

Quant au Jardin des Modes du 1er décembre 1989, il relatait la XXe Biennale des arts visuels de São Paulo, célébrant le Copy Art. Un studio y avait été installé, sous le nom d’Electrographie, afin de convier des artistes d’Europe, du Japon, des Etats-Unis et du Canada, dont certains produisaient en live, à l’exemple de James Durand, aujourd’hui au sein du pool d’artistes de la collection Baudot, tandis qu’une autre section traçait un panorama du Copy Art. La journaliste Fabienne Lips-Dumas rappelle encore que l’Espagne inaugura à cette date le premier musée du Copy Art, nommé le Musée international d’électrographie de Cuenca, dirigé par le docteur José Alcala et Christian Rigal. Artiste signant ses œuvres sous le nom de Cejar, ce dernier est considéré par ailleurs, en France, comme le grand théoricien de l’électrographie et se trouve à l’initiative de la collection de Jean-Claude Baudot. Toujours dans cet article, Sonia Landy Sheridan, dans la collection, est citée comme la grande papesse du Copy Art, avant que la journaliste ne conclut avec une série d’images de Jean Mathiaut, aussi acquis par Jean-Claude Baudot, tout comme une BD de Jean Teulé, qui se disait lui-même au carrefour de la photographie, du Copy Art et de la bande dessinée.

 

 

Christian Rigal, à l’origine de la collection

 

Christian Rigal est ainsi celui ayant le plus œuvré en France pour le Copy Art, et voici la définition qu’il en donnait, dans son essai, L’Art Electrographique.

« En 1980, j’ai forgé le néologisme « électrographie » pour désigner le détournement de l’électrocopieur (procédé électrostatique) de sa fonction première – faire des photocopies conformes – afin de créer des œuvres originales. L’art électrographique est donc, par définition, l’antithèse même de la photocopie.

L’électrographie n’est ni une technologie, ni une technique en soi mais le détournement d’une technologie, la xérocopie, par l’utilisation des techniques spécifiques que j’ai appelées : dégénérescence, manupicture, décomposition chromatique, déplacement simultané, chronoxérographie, peinture à la lumière, etc. (Elle) a permis de renouveler, en s’y intégrant, la peinture, la sculpture, la photographie, le film d’animation, la bande dessinée, le ballet et même la mode. L’électrographie a également favorisé l’avènement de manifestations interactives. »

 

 

Le lien avec Jean-Claude Baudot
​

Lui-même fils de collectionneur et petit-fils de bibliophile, c’est en commençant à acquérir des cartes-postales anciennes, puis contemporaines, notamment avec des exemplaires de Kurt Schwitters, Pablo Picasso ou Hergé, que Jean-Claude Baudot s’est retrouvé sensibilisé au travail de plasticiens qui impliquaient le photocopieur. « C’est ainsi, relate-t-il que j’ai été amené à rencontrer Christian Rigal, en parallèle un chineur extraordinaire m’ayant d’ailleurs déniché le premier copieur du monde, créé par James Watt. Puis il m’a dédicacé un jour son livre sur le Copy Art, en m’écrivant : « Pourquoi pas votre prochaine collection ? » ! Nous étions en 1980 et j’ai mordu à l’hameçon. Aujourd’hui, je possède plus de 2000 œuvres de près de 200 artistes internationaux, grâce aux trouvailles de Christian Rigal, qui était régulièrement en contact avec Jürgen O. Olbrich, à l’origine d’un musée de photocopieurs, ou Jean Mathiaut, professeur aux Beaux-Arts de Dijon, où il enseignait ce médium, et qui travaillait d’une manière presque picturale sur le bougé. Le Copy Art jouissait dans ces années-là, en France, d’une création très active et en synergie avec l’Europe de l’Est ou le Brésil. Fort de ses connaissances, Christian Rigal a attiré mon attention sur des œuvres qui se sont révélées fondatrices dans l’histoire du mouvement, comme celles de Gil J. Wolman avec ses portraits de poche, soit littéralement la photocopie des objets contenus dans les poches des visiteurs. Ou encore Bruno Munari, qui a été un précurseur dès 1963 et également l’auteur d’un ouvrage sur le sujet. J’ai encore acquis des œuvres de Daniel Cabanis, Alain Pacadis, Anna Bella Geiger ou Sonia Landy Sheridan, comme ses autoportraits sur carré de soie qui sont l’une des œuvres majeures de celle qui a même participé à la mise au point de la photocopieuse 3M de Canon. Richard Torchia était lui dans une veine hyperréaliste, avec la reconstitution d’objets par l’image, tout comme Pati Hill, que j’ai bien connue et dont la série From Versailles Eye to eye, restituait avec une précision parfaite, brindilles par brindilles, le poirier du Roi. Mais citons aussi Herman de Vries, Hervé Di Rosa, J.R Hudinilson, Dector & Dupuy ou Orlan… Sans omettre des pièces signées Rigal, qui de son nom d’artiste Cejar, a réalisé la plus grande œuvre de Copy Art du monde, d’une longueur de 144 mètres, grâce à la première photocopie rotative, et qui avait été déroulée dans la Grande Galerie du Louvre. Je possède en complément ses archives, car il me semblait important de continuer à lui rendre hommage de cette manière. Ma collection s’est ainsi enrichie sur dix ans, de 1980 à 1990 et, bien que les artistes aient réalisé dans ce domaine de nombreux multiples, elle est constituée à 90% d’œuvres uniques. »

 

 

Le Copy Art, au regard d’aujourd’hui

 

A relire quelques pièces phare de la collection de Jean-Claude Baudot, on observe que le Copy Art se révèle bien entendu le témoignage d’une époque ou représente les prémices de ce que l’on nomme aujourd’hui l’archéologie contemporaine, alors qu’il posait déjà à l’époque la question de la valeur d’une œuvre, face à sa multiplicité et sa reproductivité.

Ainsi l’exemple le plus parlant pourrait être le Xerox Book, œuvre collective de Carl Andre, Robert Barry, Douglas Huebler, Joseph Kosuth, Sol LeWitt, Robert Morris et Lawrence Weiner, publié à New York en 1968, à mille exemplaires, dont Jean-Claude Baudot possède le n° ???. On le voit à présent réapparaître, comme l’ont montré les expositions à la galerie Paula Cooper de New York, fin 2015, ou encore au Stedelijk Museum d’Amsterdam, dans le cadre de la manifestation Seth Siegelaub : Beyond Conceptual Art, de décembre 2015 à avril 2016, ayant entraîné une nouvelle publication aux éditions Roma. A l’instar du Computer Art, né dans les années 1960 et ayant subi une période d’oubli, avant de renaître à nouveau mu par l’intérêt de jeunes plasticiens, tels Cory Arcangel, Wade Guyton, Artie Vierkant ou Sean Raspet, le Copy Art est arrivé à une maturité historique, permettant de le relire et de l’exposer à nouveau.

 

 

Marie Maertens

bottom of page